Le personnage d'Alcmène dans les quatre pièces

 

Introduction

A la scène 5 de l'acte II d'Amphitryon 38, Alcmène déclare : " Je suis Alcmène et Amphitryon est mon mari ". Cette réplique résume à elle seule le caractère de ce personnage qui apparaît dans les quatre pièces comme l'épouse fidèle et amoureuse d'Amphitryon. Figure mythologique, Alcmène se définit également comme la mère d'Hercule et s'inscrit dans la longue lignée des conquêtes humaines de Jupiter. A travers les quatre pièces dont il est ici question, Alcmène est un personnage humble et attachant qui se trouve malgré elle déchirée entre le monde humain et l'absolu divin. Ce sont ces différents aspects de sa personnalité que nous tenterons ici de définir. D'apparence simple et honnête, nous verrons qu'Alcmène peut être plus complexe qu'elle n'y paraît et ce principalement en ce qui concerne sa caractéristique dominante, à savoir son humanité. L'évolution du personnage qui prend de plus en plus d'importance au fil des pièces confirme cette complexité qui apparaît donc essentiellement dans les œuvres de Kleist et Giraudoux où Alcmène devient véritablement le personnage principal.

I/ Alcmène, un modèle de vertu

II/ Alcmène, un modèle d'unité controversé

III/ Alcmène ou la figure d'une humanité totale

 

I/ Alcmène, un modèle de vertu

Alcmène s'inscrit dans la lignée des héroïnes tragiques, droites et honnêtes. Entièrement dévouée à son époux, sa croyance infaillible en l'amour conjugal la tient écartée de toute tentation adultérine. Sons sens de l'attente et sa fidélité l'apparentent à Pénélope et la vertu qui en découle la désigne aussi comme un objet de désir et de séduction pour Jupiter.

1/ Alcmène, épouse amoureuse et fidèle

Alcmène n'apparaît au départ que comme la femme d'Amphitryon. Dans les deux œuvres les plus anciennes, celles de Plaute et Molière, elle se définit essentiellement par ce rôle, étant épouse avant d'être femme.

En effet, chez Plaute, Alcmène correspond au modèle parafait de la matrone antique (éthymologiquement, " matrone " vient de " mater " // mère ce qui confirme ce rôle de matrone). Le texte l'indique d'ailleurs à plusieurs reprises de manière très explicite :

II, 2 (p.145) Elle jure par " Junon chaste matrone ". A la même page, elle est qualifiée en note De matrone honorant Junon qui veillait sur la maternité et d'une manière générale sur la condition des femmes. (à titre indicatif, on peut d'ailleurs noter que Junon/Héra, épouse de Jupiter, est un personnage type du répertoire comique. Etant dans les pièces, le contraire d'Alcmène, son opposée, sa concurrente, le caractère tragique d'Alcmène en est renforcé)

II, 2 (p.147) Alcmène énumère les qualités de la parfaite matrona

III, 2 (p.155) Elle évoque une nouvelle fois la pudeur (cf note), etc

Cette condition exclusive d'épouse droite et vertueuse est accentuée chez Plaute où la distinction entre mari et amant n'apparaît pas. Alcmène n'y veut que le mari, fidèle jusqu'au bout à son rôle de matrone.

Chez Molière en revanche, si Alcmène reste bien une "épouse vertueuse et digne, la distinction mari/amant que tente d'établir Jupiter à la scène 3 de l'acte I montre qu'Alcmène veut cette fois confondre le mari et l'amant :

I, 3 (p.64) 'Je ne sépare point ce qu'unissent les dieux ; et l'époux, et l'amant me sont fort précieux "

II, 6 (p.113) " Tous deux de même sorte occupent ma pensée, /Et des mêmes couleurs, par mon âme blessée, /Tous deux ils sont peints à mes yeux : /Tous deux sont criminels, tous deux m'ont offensée, /Et tous deux me sont odieux. "

Là encore c'est sa vertu qui fait d'elle un objet de désir et de séduction pour le dieu. Elle lui inspire la poésie précieuse propre au XVIIème mais sait lui résister avec fermeté.

2/ Alcmène, symbole de pureté

Alcmène est aussi le porte-parole d'une pureté morale qui est intimement liée à sa fidélité envers Amphitryon. C'est dans son désir de mort qui revient fréquemment dans les pièces que sa pureté est tout particulièrement illustrée. Plus qu'une qualité dominante, la pureté semble être l'essence même d'un personnage qui ne saurait survivre à une faute. C'est chez Kleist que ce trait est le plus clairement développé :

II, 5 (p.38) " que la mort soit mon sort et qu'une nuit éternelle ensevelisse mon infamie " ; " je ne veux pas vivre si ce sein n'est plus irréprochable " ; " j'ai offert dix fois ma poitrine à la mort " ; " plutôt gagner ma tombe que d'approcher ce corps de ta couche "

De même, chez Giraudoux, elle déclare à la scène 5 de l'acte III (p.152) : " je ne suis pas femme à supporter un jour trouble, fût-ce un seul dans ma vie "

On peut noter que ces tendances suicidaires sont absentes chez Plaute et Molière. Chez Plaute, l'honneur de l'héroïne est davantage mis en avant. Elle ne saurait tolérer d'être salie publiquement : III, 2 (p.153) " je ne tolèrerai pas d'être à tort accusée d'infamie : ou je le quitterai ou il fera amende honorable et, en plus de cela, il déclarera solennellement qu'il regrette d'avoir tenu les propos qu'il a proféré contre la femme innocent que je suis. ". Elle évoque aussi le divorce comme le souligne la note. Il s'agit donc ici plus d'une mort sociale ; en quittant Amphitryon, elle renoncerait à son statut de matrone ce qui lui serait forcément fatale puisqu'elle se définit exclusivement par rapport à ce dernier.

Chez Molière, cette dimension sociale est aussi présente, pouvant d'une certaine façon nuancer la pureté d'Alcmène. En effet, beaucoup ont vu dans l'intrigue d'Amphitryon une illustration des amours adultères de Mme de Montespan et de Louis XIV. Si Molière a voulu faire une telle comparaison, la pureté d'Alcmène est gravement remise en cause puisque Mme de Montespan cède consciemment au roi. Mais c'est ce même statut de roi qui innocente Alcmène. Tout comme Mme de Montespan, elle ne peut se refuser au souverain et quand bien même elle commettrait une faute, elle serait aux yeux de tous atténuée par la dimension divine de Jupiter, incarnation mythologique de Louis XIV, élu de Dieu.

III, 10 (p 154) " un partage avec Jupiter n'a rien du tout qui déshonore. "

(nuancer : Molière a-t-il vraiment voulu établir une telle comparaison ?)

3/ Alcmène fautive et l'expiation par le fils

on a donc dans Amphitryon une forte connotation religieuse qui s'étend à la personnalité même d'Alcmène, qu'on peut rapprocher de deux grandes figures bibliques.

- Alcmène en tant que femme dans un univers exclusivement masculin est celle qui malgré son innocence commet la faute. On peut donc établir un parallèle avec Eve : c'est toujours la femme qui est en quelque sorte responsable. Ceci est renforcé chez Giraudoux à la scène 5 de l'acte III où Alcmène demande l'oubli a Jupiter. Le doute plane en elle, son intuition la conduit a penser qu'elle a effectivement fauté. Dans ce contexte, oublier revient donc a retrouver un état originel de pureté et d'innocence (c'est à dire de retrouver sa vie d'avant Jupiter lorsqu'elle n'avait pas encore eu accès a l'arbre de la connaissance). D'autre part cette assimilation avec Eve est accentuée par la force de l'union d'Alcmène et d'Amphitryon. le couple est fusionnel, ils sont tributaires l'un de l'autre et renvoie d'une certaine façon à l'androgyne parfait auquel est fréquemment associé le couple Adam et Eve.

- Alcmène en tant que mère devient également une figure actualisée de la vierge Marie. Elle donne naissance à Hercule, lui-même comparable à une figure christique. Hercule sera en effet le sauveur de l'humanité qu'il débarrassera de ses fléaux (les 12 travaux d'Hercule, épreuve morale et physique imposée par Junon/Héra). Hercule combattra le mal avant de finir sur le bûcher. Cet aspect sacrificiel le rapproche également du Christ. Ainsi, chez Giraudoux, l'importance de ce fils est maintes fois soulignée :

II,5 (p97) Insistance de Mercure " ce fils DOIT naître " ; Alcmène " fils du ciel "

Alcmène devient l'élue des Dieux, elle doit être la mère d'un enfant qu'elle n'a pas choisi. C'est à travers lui qu'elle existe (III,1 p121 Ecclissé " c'est autour d'elle qu'elle sent ce fils gigantesque. C'est lui qui la contient comme un enfant.). C'est aussi par lui que sa faute sera expiée.

 

II/ Alcmène, un modèle d'unité controversé

Comme on a pu le voir précédemment, Amphitryon est un pièce qui repose sur de multiples systèmes de dualité. Les couples de point de vue opposé se succèdent et le ton même de la pièce peut en être influencé ( le plus flagrant exemple étant bien sur la tragi-comédie de Plaute). Dans ce contexte de dédoublement et de fracture, Alcmène apparaît comme étant le seul personnage unifié.

1/ Alcmène unifiée

le dédoublement a, on l'a vu, un rôle fondamental dans la pièce. Il enseigne aux spectateurs que chaque individus peut jouer à être quelqu'un d'autre. une telle multiplicité des rôles s'inscrit donc forcément dans un monde lui-même dominé par l'ambivalence.

dans ce monde, Alcmène fait figure d'exception. Elle est le seul personnage principal qui n'a pas de double, elle est entière dans ses sentiments, voire exclusive. Elle ne doute jamais de son Moi profond notamment chez Kleist à la scène 4 de l'acte II (p36) où elle fait preuve d'une intuition indéniable quant à sa propre identité. Elle dit : " ce sentiment tout intime que j'ai sucé avec le lait maternelle, qui me dit que je suis moi, Alcmène "

Pourtant, cette unité du personnage peut être discutable : si Alcmène est bien unique dans le contexte de l'apparition des doubles, certains éléments peuvent nuancer son unicité.

- Chez Plaute, elle accouche de jumeaux, symboles explicites d'une dualité chez la mère

- dans l'ensemble des pièces, Alcmène n'est véritablement totale, pleine, unifiée, qu'en présence d'Amphitryon ou du moins qu'avec l'amour d'Amphitryon.

Chez Plaute : Acte I scène 3 (p111) " je veux que tu m'aime en mon absence, moi qui t'appartient toute entière malgré ton absence "

Acte II, scène 2 (p121) " je me sens maintenant seule ici, du fait de l'absence de celui qui m'est le plus cher au monde "

Mais c'est surtout chez Giraudoux que cette dimension fusionnelle est formulée le plus clairement : Acte III, scène 3 (p130) " prends moi dans tes bras ! étreins moi ! embrasse moi en pleine lumière pour qu'il voit quel être unique forme deux époux " On a ici encore une référence à l'androgynie initiale.

I,3 (p39) Amphitryon fait la une référence a Philémon et Baucis. Dans la mythologie grecque P& B étaient un couple de paysans miséreux et âgés qui offrirent l'hospitalité a Jupiter et Mercure alors que tous les autres villageois la leur avaient refusée, ce qui les fit échapper au déluge. Pour les remercier leur cabane fut transformée en un temple dont ils furent les prêtres. Ce qui les rapprochent du couple fusionnel Alcmène / Amphitryon est leur mort. Philémon fut changé en chêne et Baucis en Tilleul et les Dieux. Les dieux leurs accordèrent d'être unis en un tronc commun. (ils symbolisent d'ailleurs l'amour conjugal dans la mythologie.

2/ Alcmène : unité réelle ou aveuglement

Quoi qu'il en soit Alcmène reste tout de même le personnage de l'unité. Mais une question peut se poser : cette unité ne vient-elle pas du fait qu'Alcmène ne voit que ce qu'elle veut bien voir ? La preuve la plus flagrante étant la scène 7 de l'acte II chez Giraudoux où elle VEUT voir Jupiter en Amphitryon, Jupiter qu'elle veut envoyer dans le lit de Leda. Si Alcmène est de manière incontestable véritablement honnête envers Amphitryon, n'est ce pas du au fait qu'elle s'interdise toutes autres façon d'agir et de penser ? Alcmène semble totalement régie par ce principe d'unité qu'elle refuse de contredire en se posant des questions qui viendraient véritablement cette fois troubler sa paix intérieure. Tant qu'elle est l'objet des hommes qui l'entourent elle n'est pas responsable. S'ouvrir a des sentiments nouveaux seraient, au contraire, une source de trahison a ses yeux. Ainsi chez Kleist, elle se brime en renonçant a Jupiter auquel elle n'est pourtant visiblement pas restée indifférente (puisqu'elle le choisit a la scène 11 de l'acte III p162) Mais c'est surtout à la scène 2 de l'acte II p45 que cette attirance est la plus flagrante puisqu'elle confit a Jupiter que des deux Amphitryons elle préfère celui qui la tient dans ses bras. Mais son désir d'unité, c'est à dire de droiture, est plus fort que tout. A la fin de la pièce (p66), juste après avoir déclaré son amour a Jupiter ( " laisse-moi éternellement dans l'erreur, si ta lumière ne doit pas toujours envelopper mon âme ") elle se tourne vers Amphitryon comme en témoigne le cri qu'elle pousse à son époux.

De la même façon chez Giraudoux, on décèle une attirance pour Jupiter.

III,5 (p141) " aurais-je à ce point le sentiment de tromper mon mari avec un dieu qui m'aspirerait de l'aversion ? ".

III, 5 (p152) " tout mon corps ce réjouit de cette heure ou je vous est connu, et toute mon âme en éprouve un malaise "

(p156) " notre jour finit, ce jour que je me prenais à aimer "

On peut voir là un arrière goût de mélancolie qui fait écho au " hélas " final chez Kleist. Alcmène semble donc bien aller a l'encontre de ses sentiments. Elle s'interdit toute spontanéité au nom de la fidélité.

3/ Le désir d'Alcmène

Dans son étude intitulée Deux Alcmène de Molière à Giraudoux, René Jasinski pose la question de la lucidité d'Alcmène chez Molière : si honnête et de bonne foi qu'elle soit, ne perçoit-elle pas une différence entre les deux Amphitryons ?

" encore sied-il qu'elle ne mesure pas trop l'écart, qu'aux yeux du monde et a ses propres yeux, elle ne paraisse pas s'abandonner de son plein gré a une coupable passion. Se donner aux dieux par une impulsion irrésistible mais sans contrevenir a une fidélité conjugale qu'au fond d'elle même elle répudie, voilà bien la contradiction où toute héroïne moins subtile s'empêtrerait, à laquelle pourtant échappe Alcmène a force de grâce et d'exquise finesse "

Jasinski laisserait donc entendre qu'Alcmène prend véritablement plaisir à être dans les bras de Jupiter. Ceci est confirmé dans l'ensemble des pièces ou la dimension charnelle et même sensuelle est omniprésente de manière croissante.

Chez Plaute, cet aspect est a peine suggéré : I,3 (p107) " tu pars avant même d'avoir réchauffé la place où tu as couché dans notre lit "

Chez Molière, on a une légère évolution (I, 3 p 63) " c'est de ce nom pourtant que l'ardeur qui me brûle tient le droit de paraître au jour "

II, 2 p " tous ces transports, toute cette tendresse ne me déplaisaient pas "

Chez Kleist, II,2 (p28) " lorsque tu m'as baisée secrètement sur la nuque, ne me suis-je pas, oublieuse du monde entier, lovée sur ta poitrine "

" toi-même tu ne maîtrisait pas ta joie a te voir tant aimé ; et comme je riait tout en versant des larmes, tu me jura, étrange et terrible serment que jamais Hera n'avait si bien comblé Jupiter "

p31 " je senti un frisson me traverser tous les membres ".

Enfin chez Giraudoux on assiste a une explosion des sens : Acte I, scène 6 (p52) " que j'aimerai m'étendre en ces bras (…) ta bouche aussi me semble fraîche et ardente.

A la scène 6 de l'a te II, on note qu'Alcmène demande a Leda les détails de sa nuit avec Jupiter. Elle paraît très curieuse voir avide.

Une évolution très nette d'Alcmène s'opère donc, d'épouse et mère elle devient femme. Il semble qu'au fur et a mesure qu'Alcmène prend conscience de son corps et évoque ouvertement un amour physique, elle acquiert plus d'audace et de force. Chez Giraudoux, elle sort définitivement de son statu passif, un changement déjà amorcé chez Kleist ou elle avait a choisir entre les deux amphitryons.

On peut d'autre part noter que cette nouvelle " fonction " de femme avec des desirs et des envies est mise en relief par la présence de Cléanthis chez Molière et de Charis chez Kleist. A travers elle on a l'image de la vieille épouse acariâtre et mal aimée, surtout chez Molière, et visiblement pas attirante en tout cas selon mercure. Par contraste, Alcmène n'est que plus attirante dans sa jeunesse par sa fraîcheur.

 

III/ Alcmène ou la figure d'une humanité totale

1/ Le parti de l'humanité

Dans l'ensemble des pièces, et plus particulièrement chez Giraudoux, Alcmène incarne l'humanité. Conjugale, n'aspirant qu'à être aimée de son mari, apparemment sans préoccupation métaphysique ou religieuse, Alcmène est la représentante d'un monde terrestre régi par des valeurs simples et explicites. Une telle représentation d'Alcmène se retrouve également chez Plaute et Molière où son attachement terrestre est aussi ressenti.

Plaute, I, 3 (p107) " j'aimerais mieux des preuves tangibles que de belles déclarations "

Mais c'est surtout chez Giraudoux que l'humanité d'Alcmène est exprimée et ce essentiellement a la scène 2 de l'acte II (p68, 69) on a deux longues tirades d'Alcmène qui affirme tout aimer dans la vie jusqu'à la mort p68 " je ne crains pas la mort, c'est l'enjeu de la vie ". cette humanité d'Alcmène est également perçue par Jupiter, qui le formule de manière explicite lorsqu'il dit " c'est que tu est le premier être vraiment humain que je rencontre ". On décèle de l'admiration chez le dieu, admiration qu'Alcmène a elle aussi perçue : " pourquoi me regardes tu soudain avec cet air respectueux " p68.

A la scène suivante 3,II p 74, Jupiter confirme son point de vue en déclarant : " c'et elle le vrai Prométhée (Prométhée qui aurait créé les homme dans certaines légendes mythologiques) A travers Jupiter est exaltée l'humanité totale et inconditionnelle d'Alcmène. humanité qui peut aussi constitué cher elle une faiblesse. Alcmène est en effet assimilée chez Giraudoux a une certaine catégorie de femme , les femmes fidèles qui , si elle ne commettent pas d'adultère par la chair , trompe en revanche leur mari de multiples acons (II,5 p96 Mercure). Jupiter l'avait aussi compris au début de la pièce( I,5 p145 " tu sais que….règles ") mais dans cette même scène il prévoyait également de sonder Alcmène pour pouvoir la séduire sous d'autres formes que celle d'amphitryon (p45 : " je remplirais…moi-même). Il y renonce : l'assurance d'Alcmène , son attachement au purement terrestre et son refus de transcendance rendent totalement impossible a Jupiter de se faire aimer pour lui-même.

2/ Alcmène, modèle de sagesse humaine ou personnage limité ?

On peut établir une nuance dans les motivations d'Alcmène a se montrer si humaine chez Giraudoux. On peut en effet voir dans sa résolution a prendre la vie telle qu'elle est une forme de sagesse, une leçon d'humilité pour le commun des mortels. Pourtant si Jupiter la perçoit ainsi, ce n'est pas le cas de Mercure qui déclare a la scène trois de l'acte II p74 : " elle manque simplement d'imagination. c'est l'imagination qui illumine pour notre jeu le cerveau des hommes " Alcmène apparaît donc dans les propos de mercure comme un personnage dénué d'imagination. trop attachée a son quotidien conjugal, elle n'aurait en fait no la curiosité ni l'envie de se tourner vers un ailleurs. Des lors, Alcmène apparaît comme un être limité, aux aspirations faibles, qui doit sa droiture a une forme d'étroitesse d'esprit.

La question de l'humanité d'Alcmène est aussi controversée chez Kleist puisqu'elle apparaît dans sa pièce éprise de spiritualité. C'est une Alcmène quelque peu hors-norme qu'il dépeint. Elle contredit le principe d'unité qui caractérise les autres Alcmène par l'attirance évidente pour Jupiter qui dévoile un déchirement du personnage entre l'humain et le divin. En effet, chez Kleist, Jupiter dévoile sa véritable identité a Alcmène (II,5 p40-41) et il lui donne dans cette même scène une véritable leçon de métaphysique. Il l'encourage a se lancer dans une quête de la transcendance et a se détourner par là de l'humain au profit du divin. Alcmène est dès lors déchirée entre la chair et l'esprit, entre Amphitryon qui l'a rattache au monde terrestre et le Dieu qui lui a ouvert de nouveau horizons. Le dernier mot de la pièce " hélas " résonne comme un cri de désespoir .

3/ Alcmène : humaine par son incapacité à échapper à l'ordre des choses

la bonne foi humaine incarnée par Alcmène est en effet trompée et ce malgré la sincère volonté du personnage d'échapper à la décision du Dieu. Dans les quatre pièces, en dépit de sa fidélité et de sa vertu, Alcmène est abusée et trompée comme le reste des hommes. Bien qu'il y est en elle un caractère unique qui la singularise face aux autres protagonistes, elle n'échappe pas a la volonté du tout-puissant. C'est peut-être en cela qu'Alcmène est vraiment humaine .il semble d'ailleurs qu'au fil des œuvres, elle réalise elle-même la fatalité dont sont victimes les hommes, l'évolution dominante de Plaute à Giraudoux étant son attitude face à la vérité. Elle devient en effet de plus en plus arrangeante face a cette vérité, semblant être consciente du caractère incontrôlable de toute destiné humaine. Le fait qu'elle demande à oublier tout ce qu'il s'est passé dans la pièce de Giraudoux, tend a confirmé cette hypothèse. L'impuissance inhérente à l'être humain touche donc sa plus digne représentante. Comme le laisse entendre Kleist dans la scène finale de son Amphitryon, être humain, à l'image d'Alcmène, c'est être dans le faux.

P63, une voix du peuple s'élève pour commenter le choix que doit faire Alcmène entre les deux Amphitryons : " quel œil humain pourrait ici faire la différence ? "

 

En somme, Alcmène apparaît bien plus complexe qu'on pourrait le croire. Autour de son personnage s'articule un grand nombres de questions d'ordre métaphysique. Si Alcmène subit le même sort que les autres hommes, elle n'en reste pas moins un personnage unique et hors-normes par son intégrité.

[Quelque chose a dire ?]