Hamlet en France: étude de traductions

" Trahir ou ne pas traduire, là est la question ". Cette citation, empruntée à Gérard Meudal, semble bien résumer la complexité du travail du traducteur et les choix qu'il a à faire quand la langue ne permet pas une restitution parfaite. En effet, il faut parfois opter pour une traduction frauduleuse ou compter sur la présence de notes de bas de page pour arriver a palier à certaines lacunes linguistiques. De plus, la traduction est un art malléable et selon les périodes on préfèrera, comme on pourra le voir, adapter les œuvres originales au goût d'une époque plutôt que de leur rester fidèles. C'est pour cela que toutes les traductions ne se ressemblent pas, même si aujourd'hui on tend plus à l'authenticité qu'à l'adaptation. On pourra voir cette évolution avec l'étude historique de plusieurs traductions de Hamlet, certaines assez anciennes et parfois pas très fidèles au texte d'origine et d'autres plus modernes, plus proches du texte, qui finissent par être de plus en plus semblables. Le fil directeur de ce travail de comparaison sera le fameux monologue d'Hamlet et aussi parfois celui de l'acte II, scène 2. Nous comparerons aussi, plus largement, deux traductions de l'œuvre de Shakespeare. La première étant celle de François Victor Hugo, la seconde celle du traducteur et homme de lettres : Yves Bonnefoy. En complément de cette étude de traduction, on pourra voir quelques textes en rapport avec le travail de traducteur et avec quelques traductions étudiées.

 

I. A propos de la traduction

1. " Trahir ou ne pas traduire, là est la question "

Dans son article paru dans Le Monde de l'éducation en février 1998, Gérard Meudal, par sa citation, résume à merveille ce que l'on pourrait appeler le " complexe " du traducteur. En effet, il est parfois difficile de traduire un mot, une notion, une phrase sans pour autant en alterner le sens. Pour l'auteur de cet article, le traducteur de par la nature de sa fonction " trahit presque fatalement " et fait " subir toutes sortes d'outrages " aux œuvres originales indépendamment de ses compétences. Il ment, défigure, invente pour mieux " cacher les difficultés auxquelles il se heurte ". Le métier de traducteur semble donc être un métier d'approximations où la perfection paraît inatteignable. Avant celui de Shakespeare, Gérard Meudal nous donne l'exemple de la traduction intégrale des Contes et Récits d'Hoffmann par Loève Weimars. Ce dernier, visiblement ennuyé lors de la lecture des monologues intérieurs les avait tout simplement supprimés et remplacés par une seule et même phrase : " Et il murmura quelques propos incompréhensibles. ". On peut alors se demander si la fidélité au texte est ou doit être le propre de la traduction, à quoi ressemble une " traduction parfaite " et y'a t-il des règles à respecter ?

L'exemple de Shakespeare est encore plus extrême. Au 18eme siècle on peut encore se vanter de " ne point entendre l'anglais " dans une préface de traduction.

Les règles de la traduction, s'il y en a, semblent évoluer. Et si, au XVIIIe siècle, la notion de fidélité au texte ne fait pas La bonne traduction, elle semble aujourd'hui être inhérente à la reconnaissance d'un travail de traducteur.

2. Reliquats-marges du William Shakespeare ou les traducteurs selon Victor Hugo

" J'ai fait le rangement des papiers et le ménage des copeaux qui me restent de mon livre William Shakespeare " note Hugo sur un carnet le 21 mai 1864. Parmi ces textes non publiés, un est consacré aux traducteurs. Le début de ce texte semble être, selon J. Massin, une première version de la préface pour la traduction de Francois-Victor. La suite semble être, elle, une sorte de définition du travail de traducteur. Des conseils, des exemples à suivre ou à ne pas suivre sont donnés dans le but tant recherché d'atteindre une parfaite traduction.

Pour définir le " profil type " du bon traducteur Hugo commence, par s'intéresser aux sources des traductions. Il démontre, en effet, qu'il faut s'immerger dans une culture, dans une philosophie, dans un personnage, … pour bien pouvoir traduire une œuvre. Comme il le dit lui-même dans le texte, " Shakespeare veut son sujet […], son développement […], ses passions […], sa philosophie […], son style […], son humanité ", " tout est voulu dans le chef-d'œuvre ". Il faut donc respecter ces notions dès leur point de départ. Il prend, à ce propos, l'exemple de l'école classique qu'il qualifie de synonyme de " progression décroissante ". Le " plus dangereux des engrenages " est celui de ne pas respecter l'idée du " point de départ personnel ". L'exemple plus concret qu'il donne est celui d'Hector dans Homère et celui, à plusieurs siècles d'intervalle, de ce même Hector dans Luce de Lancival. A ce point d'arrivée Hector n'est qu'un personnage de la " littérature aux pales couleurs ".

En résumé, Shakespeare, ou tout autres auteur, est tout entier dans chaque ligne de son livre et il ne faut a aucun moment séparer le fond de la forme dans une traduction. Le " style est entrailles ", il faut donc le respecter : " Le traducteur excellent obéit au poète comme le miroir obéit a la lumière, en vous renvoyant l'éblouissement " et non pas un pale rayon de lumière, qui pourrait faire moins mal aux yeux.

En outre, le traducteur est selon Hugo influencé par son milieu, par son époque, il est l'esclave de l'instant, et " a pour collaborateur le moment donné. " C'est pour cela qu'aucune traduction du XVIIe ou du XVIIIe siècle n'est jugé " pure, complète et généreuse " par l'auteur de William Shakespeare. En effet, Hugo critique ici, le manque de fidélité aux œuvres originales au nom du " bon goût " ou de la bienséance de l'époque. Il fait, dans le but de justifier sa pensée, une forte critique de Bitaubé, traducteur de L'Iliade, en exposant tous les défaut de sa traduction. Par exemple, quand Junon appelle Vulcain " mon boiteux " dans la version originale, elle lui dit " ô mon fils " dans celle de Bitaubé. Une telle dénaturation dans la traduction est l'antithèse de ce que Hugo attend d'une traduction. A trop dénaturer, on perd le sens original. Il critiquera plus tard, dans le même souci de prouver que dénaturer n'est pas traduire, la fade adaptation qu'est l'Iphigénie de Racine.

Cependant, malgré les dures critiques qu'il fait à l'égard de ceux qu'il appelle les " demis-traducteurs ", Victor Hugo arrive à leur trouver une utilité. En effet, les " demi-traductions " introduisent les vraies traductions et permettent d'habituer petit à petit un peuple a recevoir une œuvre qui aurait pu, livrée brute dès le départ, paraître choquante. Pour reprendre la métaphore employée par Hugo : les demis-traductions empêchent une brutalité semblable a celle du " soleil entrant brusquement dans une chambre sans rideaux. " C'est en cela que Victor Hugo admet que Letourneur initie à Shakespeare, même si c'est " comme le singe initie à l'homme. " Le traducteur peut donc avoir du talent mais paraît bien ridicule face à un " génie ". Hugo fait cependant exception de plusieurs traducteurs qui par leur talent arrivent à dépasser le génie et devienne génie à leur tour. C'est le cas, par exemple, de Molière face à Plaute, de Chateaubriand face à Milton, de La Fontaine face à Esope, entre autres.

De plus, Victor Hugo octroie une autre fonction à ces " demis-traducteurs " : ils participent à l'évolution de la syntaxe française par les stratagèmes auxquels ils recourent lors de la traduction. Mais, comme le dit Hugo : " ils participent a l'élasticité de la langue à la condition de ne point aller jusqu'à la déchirure ". Il faut donc avoir un minimum de respect de la langue pour accompagner son évolution.

Finalement, Hugo résume la relation auteur/traducteur comme supposant " l'entente la plus cordiale et la lutte la plus acharnée ". Dans cette cordiale entente, le traducteur doit apprendre à déchiffrer l'énigme qu'est l'auteur. Il doit jouer plusieurs rôles : celui d'historien, de philosophe, de philologue, de grammairien,…S'il y arrive, il produira une traduction entière (par opposition aux demis-traductions) et pourra triompher, même dépasser l'auteur. Encore faut il que les français, " nation de demoiselles ", acceptent de recevoir des traductions fidèles. Encore faut-il être sur du texte original, ce qui n'est pas le cas de Hamlet dont il existe plusieurs versions.

3. Préface de Victor Hugo ou la spécificité de la traduction de son fils Francois-Victor

Après avoir décrit , encore une fois, les sentiments qu'il possède face aux traducteurs, Victor Hugo avance quelques autres arguments et constats au rejet de Shakespeare avant d'introduire positivement son fils et l'œuvre qu'il a mis douze années a produire.

La première de ses remarques porte sur le rejet de l'auteur de Hamlet par les Français. En effet, il estime que ces derniers refusent les traductions car elles consistent à mélanger les cultures. Que deviendrait la littérature française si on lui ajoute " cette substance des autres peuples ". Hugo explique donc que la peur de la perte d'une singularité, d'une pureté a tout d'abord été l'explication du rejet du théâtre anglais. Effectivement, la question littéraire du XVIIIe siècle fut celle-ci : Faut-il traduire Shakespeare ?

Au XVIIe, c'est Voltaire qui injuriait lourdement Letourneur. Victor Hugo, par le soutien qu'il lui apporte dans cette préface (bien qu'il reconnaisse les faiblesses de sa traduction), fait une critique de Voltaire quant à son " retournement de veste ". Mais plus que Voltaire, ce sont les anglais eux-mêmes qui mettent leur compatriote et son traducteur a l'écart, notamment " la trilogie des Georges " qui le trouve grossier et " ampoulé ".

Après toutes les critiques, tout le danger,… il ne reste au traducteur d'aujourd'hui qu'a vaincre la difficulté de la tache de traduction. Dès lors, apparaît Francois-Victor Hugo, présenté par son père comme détenteur des qualités nécessaire au meilleur traducteur. Il devient même sous sa plume : " le traducteur […] définitif ". Même si on peut penser que cet adjectif découle du fait que les textes de Shakespeare soient établis une fois pour toutes avec la parution de l'édition de Cambridge, Hugo ne cache pas sa fierté quant au travail de son fils. Pour lui, il respecte les règles et possède toutes les qualités qui feront de sa traduction la meilleure. En effet, quand le traducteur parfait doit s'abandonner a Shakespeare, quand il doit " ne pas lui mettre de voile là où il est nu ", quand il doit " être sa chair et ses os "… Francois-Victor le fait aussi. Il a tout étudié de l'auteur anglais, s'en est imprégné, a lu ce qu'il a lu, a étudier ce qu'il a étudié, pour mieux lui rester fidèle. Il a réussi a surpasser la difficulté à traduire l'anglais, " idiome composé en sens inverse [du français] ", pour mieux faire de sa traduction une traduction " fidèle, sincère ", obéissante, qui n'a pas pour but de surpasser Shakespeare.

Finalement, selon Victor Hugo, cette traduction manquait a ceux qui veulent découvrir Shakespeare dans son ensemble. Le " nous " qu'il emploi pour définir sa pensée ne réussi pas a cacher son implication personnelle ni son sentiment de fierté envers son fils et envers son travail de traducteur et aussi de commentateur de cette traduction qu'il juge comme étant " un don qu'un Français offre à sa patrie. "

 

Pour conclure sur cette première partie, on peut donc dire que le métier de traducteur est complexe et mouvant. En effet, la manière de traduire un texte, les règles qui déterminent ce travail évoluent selon l'époque. De la traduction approximative, mensongère, voire carrément hors propos, on évolue à travers les siècles vers une fidélité au texte, vers un souci de respect de l'œuvre originale. Ce travail de traduction à même inspiré Hugo qui, de par son travail sur la préface à son fils, nous lègue une sorte de manifeste sur la traduction.

De nos jours, si l'on déroge a la règle de fidélité c'est peut être plus pour promouvoir un talent, une écriture, que dans un soucis d'offrir au public non bilingue une traduction représentative de l'œuvre première. En ce qui concerne Hamlet en particulier, il est vrai que le travail de Francois-Victor Hugo peut être considéré comme un tournant dans l'histoire de la traduction et aussi, en quelque sorte comme étant " définitif " car sa version est aujourd'hui encore présente dans bon nombre de librairie au coté des traductions plus récente qui contrairement a celle-ci, comme on le verra plus tard, semblent promouvoir un traducteur plus qu'une œuvre, un style plus qu'une reconstitution.

II. Etude chronologique de traductions : Hamlet en France à travers l'histoire

1. "La monstrueuse farce" ou les traductions de Voltaire, La Place, Ducis, Letourneur du monologue " to be or not to be "

Dès son apparition en France au XVIIIe siècle, la tragédie de Hamlet est définie comme étant l'invention d'un dérangé par un génie barbare pour des barbares. En cela, elle ne peut avoir le titre de " tragédie ", car elle est non conforme aux règles classiques qui régissent, à l'époque, le théâtre français. Même si certains admettent que la pièce possède quelques passages admirables, elle n'en est pas moins absurde de par son manque de logique, de clarté et d'ordre. En France, dans ce pays où prime la raison, Hamlet mettra du temps et connaîtra quelques changements avant de pouvoir être accepté et joué sur scène. Transformé par la plume de différents traducteurs, comme Ducis et LeTourneur par exemple, la figure d'Hamlet changera plusieurs fois de masques et il faudra attendre une époque plus proche de la notre pour enfin découvrir le personnage tel que Shakespeare l'avait pensé.

Comme on a pu le voir, dès son arrivée en France, Hamlet est jugé négativement. Cependant, certains hommes de lettres anglais n'ont pas meilleure opinion de la pièce. En effet, quand Voltaire condamne le mélange des genres bouffons et tragiques, il partage son point de vue avec plusieurs critiques néo-classiques anglais tels que Rymer, Dennis et Gildon.

Jusqu'en 1733, la focalisation sur les défauts de la pièce en dévalorise ses points forts. Seul l'Abbé de Prévost semble s'opposer à cette pensée collective. Il est le seul français qui parle de " beauté des sentiments " pour définir Hamlet. Il ose même dire que ce genre de tragédies anglaises vaut bien les tragédies Grecques ou Française ; elles pourraient même les surpasser si le respect des règles était plus rigoureux. L'Abbé Prévost, même s'il accorde sa préférence au théâtre de Shakespeare, n'en condamne pas moins ses défauts.

 Le cas Voltaire

Voltaire fut tout d'abord le premier interprète français de Shakespeare avant de devenir un fervent défenseur de la tragédie française contre l'influence des poètes anglais. Dès le départ, cependant, il reconnaît les défauts de l'auteur anglais mais préfère faire découvrir ses " beautés " aux français. Il s'inspirera aussi de Hamlet pour ces propres créations, telle que Eriphyle où il introduit un spectre.

Le monologue d'Hamlet fait parti des beautés que Voltaire trouve chez Shakespeare. Il méritera donc, selon l'expression de Voltaire, être traduit par lui en alexandrins.

 

Demeure ; il faut choisir et passer à l'instant

De la vie à la mort, ou de être au néant.

Dieux cruels ! s'il en est éclairez mon courage. […]

 

Hamlet devient ici une sorte de romain de l'antiquité en appelant aux Dieux cruels.

Par la suite, il parlera comme un sceptique du 18e siècle se questionnant sur l'existence des dieux et ironisant sur le clergé.

 

O mort ! moment fatal ! affreuse éternité !

Tout cœur à ton seul nom se glace épouvanté.

Eh ! qui pourrait sans toi supporter cette vie,

De nos prêtres menteurs bénir l'hypocrisie […]

 

Enfin, il deviendra un " chrétien timide " qui ne se suicide pas, par scrupules.

 

Mais le scrupule parle, et nous crie : " Arrêtez. "

Il défend à nos mains cet heureux homicide,

Et d'un Héros guerrier, fait un chrétien timide.

 

En étudiant plus précisément cette traduction de Voltaire, on peut se demander dans quelles mesures il traduit le monologue de Hamlet. En effet, Voltaire s'impose un nombre important de contraintes, par exemple l'utilisation d'alexandrins, le respect de l'alternance rimes féminines, rimes masculines, le respect de la césure entre autres, et tend a faire de cette traduction un modèle du classique français.

En plus de la forme, le fond lui non plus n'est pas respecté. Voltaire fait une adaptation plutôt libre du monologue, il interprète et contraint en cela le lecteur à suivre son interprétation sans le laisser dans une forme d'incertitude qui semble créatrice et nécessaire

Comme on l'a vu précédemment, quand Shakespeare parle d' " insolence of office " (= insolence des gens ayant de l'autorité), Voltaire, sceptique envers la religion, traduit par " prêtres menteurs ". Aussi, quand Shakespeare parle du suicide, il n'y introduit nullement de termes chrétiens contrairement à Voltaire.

Voltaire est donc très loin de Shakespeare, et on peut donc se demander si sa traduction est une bonne traduction.

Avec cette première traduction qui selon son auteur est ouvertement non littérale mais fidèle, Voltaire initie les Français au théâtre de Shakespeare. Dans ses Lettres Philosophiques (d'où est extraite la traduction qui précède), Voltaire tend a faire découvrir tout le bien qu'il a pu voir en ce pays anglais. Mais il se questionne déjà sur le rôle à donner à Shakespeare, comment l'introduire en France ? En effet, il semble impossible d'ériger à la fois la beauté des " farces monstrueuses " de l'auteur anglais et la beauté du théâtre classique français C'est pour cela que Voltaire ne séparera pas blâmes et éloges dans sa présentation de l'auteur d'Hamlet aux français, et comptera sur une évolution de son théâtre vers plus de classicisme, lui permettant être totalement accepté en France. L'Abbé Prévost, en correction a cette première traduction se risquera a en faire une, jugé plutôt fidèle malgré quelques paraphrases et abstractions.

Plus tard, Voltaire écrira une seconde traduction de ce même monologue dans l'Appel à toutes les nations de l'europe. Cette fois, le but de cette traduction n'est plus de faire découvrir Shakespeare aux français mais plutôt de le rabaisser. En effet, en avançant dans l'histoire, Voltaire apprécie de moins en moins l'auteur anglais qui gagne du terrain en France. Quand le génie de Shakespeare est comparé a celui de Corneille ou de Racine, s'en est trop pour l'auteur français qui renie Shakespeare et regrette de l'avoir fait découvrir le premier aux français Cette nouvelle traduction tend donc a faire de Hamlet l'objet d'une analyse ironique et a prouver l'infériorité de Shakespeare face au théâtre français Voltaire en maniant agilement le texte de l'auteur anglais, le transforme a volonté, pointant sur les passages obscènes détachés de leur contexte par exemple. Aux fautes qu'il avait trouvé initialement, il en rajoute de nouvelles notamment celle de l'épisode du poison versé dans l'oreille. La traduction idéale qu'il a trouvé pour diminuer la beauté du texte dit par Hamlet, est la traduction littérale :

 

Etre ou n'être pas, c'est là la question,

S'il est plus noble dans l'esprit de souffrir

Les piqûres et les flèches de l'affreuse fortune

Ou de prendre les armes contre une mer de trouble,

Et en s'opposant à eux, les finir ? Mourir, dormir,

Rien de plus […]

 

 

Aussi, l'obscurité apparente de la syntaxe sert totalement ses observations quand à l'imperfection du travail de Shakespeare.

Plus tard il traduira d'autres passages d'Hamlet de manière littérale pour mieux démontrer son avis sur l'auteur anglais. Apres le succès de la traduction de Ducis, il en arrivera même a se retourner contre le spectre dans la célèbre Lettre à l'Académie.

Tout d'abord admirateur de Shakespeare, Voltaire devient son premier ennemi dès que l'auteur anglais est jugé comme égal ou supérieur aux hommes de théâtre français. D'une traduction faite pour la promotion d'Hamlet, Voltaire passera a une traduction pour sa destruction, mais tous ses efforts seront vains et plusieurs hommes vont se mettre a traduire Shakespeare, plus ou moins fidèlement,comme nous allons le voir.

 Le cas La Place

En 1746, après Voltaire, Pierre-Antoine de La Place propose une traduction " complète " d'Hamlet, " autre tragédie de Shakespeare ". Cependant, malgré sa primauté, La Place n'est pas très reconnu, et aujourd'hui encore son statut est incertain. Nombre de ses traductions sont vite oubliées dès lors qu'un autre traducteur de Shakespeare voit le jour.

La Place, contrairement au Voltaire de la traduction littérale, possède une autre vision sur le théâtre anglais. Pour lui, les anglais sont différents et Shakespeare leur parle différemment. Il s'oppose donc à Voltaire en prônant plus d'universalité. On peut cependant se demander pourquoi il ne traduit aucune comédie. Serait-ce pour ne pas faire d'ombre à Molière ? (et en ce cas rejoindre la pensée de Voltaire quand aux dangers que représente Shakespeare pour le théâtre français ?).

De plus, La Place reconnaît quand même certains défauts à Shakespeare, notamment le mélange des genres, présent par exemple dans la célèbre scène des fossoyeurs d'Hamlet. Il dit lui-même : " Il est contraire à la raison, à la nature, à la vérité des choses, et au sentiment, de mêler ces deux objets ; de faire parler des Princes en bourgeois ; d'introduire avec eux sur le Théâtre des personnages de condition vile ; de leur faire dire des plaisanteries, et des chansons."

En ce qui concerne ses traductions, elles sont en prose rythmée, les passages les plus important étant traduit en vers. En effet, le souhait de La Place est de ne pas faire de plates traductions. Cependant, les défauts que ces dernières possèdent sont nombreux et certains les disqualifiaient même de la scène, par exemple : leur non intégralité. La Place élude les didascalies et remplace des scènes entières par des courts résumés, dans le but d'épargner au public français un grand nombre d'obscénités (elles desserviraient aussi Shakespeare) ou pour tenir un rythme de publication ou peut-être encore pour éluder volontairement des passages sans inserts Dans Hamlet, par exemple, la première scène intégralement traduite est celle de la rencontre du prince avec le spectre de son père (scène 5 de l'œuvre originale). Aussi, dans la pièce jouée pour le nouveau beau père, seul le prologue est traduit, les lignes dédiées à Ophélie sont absentes. En outre, comme Voltaire l'avait fait avant lui, La Place se permet des traductions approximatives où il introduit certaines de ses idées quand à la définition de la tragédie et du théâtre en général. Il introduit aussi l'idée de vengeance chez le personnage d'Hamlet, idée totalement absente dans la version originale.

Pour la traduction du monologue " to be or not to be ", La Place choisit la prose, et semble emprunter le début de sa traduction a celle de Voltaire :

 

Etre ou être plus ? arrête, il faut choisir !

 

De plus, les paraphrases et les abstractions " nobles " semblent être caractéristiques. Où Shakespeare dit : " the thousand natural shocks that flesh is heir to ", La Place, réducteur ne traduit que par un simple " les misères de l'humanité ". Aussi, quand La Place parle de " fatale incertitude ! " c'est pour traduire le " ay, there's the rub ! " de Shakespeare. Encore, " the whips and the scorns of time " devient " la perversité du siècle" et enfin, le " puzzle the will " se transforme en " glace nos pensées ". Comme on peut donc le voir, La Place essaye d'atténuer, par la sous traduction ou par l'approximation, les " bas mots " dit par Hamlet. Il fait de lui un personnage simplifié, et plus fade. Des lors sa traduction ne peut pas être considéré comme une traduction juste et fidèle de la pièce de Shakespeare.

En outre, on perçoit aussi l'influence du style des tragédies françaises par certains mots comme " transports, flamme, ardeur, … " qui ont déjà fait le succès des tragédies classique de Corneille. Mais cette influence est aussi perceptible chez tous les personnages, qui prennent, avec la traduction de La Place, les mêmes rôles que ceux, prédéfinis, de la tragédie classique. Enfin, l'introduction d'une idée de vengeance (non présente dans l'originale) tend à faire d'Hamlet une adaptation classique.

La traduction de La Place est donc plus une nouvelle pièce qu'une vraie traduction. En effet, où Shakespeare est concret, La Place est généralement abstrait, il est concis quand Shakespeare est diffus, ou encore explicite quand ce dernier est suggestif. Le travail de La Place n'a donc pas permis l'acceptation de Shakespeare par les français et cette traduction de Hamlet ne débarrasse pas le héros de sa mauvaise réputation d'invention barbare.

 Le cas Ducis

Jean-François Ducis, en 1769, publie à son tour son travail sur Hamlet. Mais ce travail n'est pas une traduction, c'est plus une adaptation pour la scène de la pièce pour un public français " délicat et sensible ". De plus, Ducis " n'entend pas l'anglais " et tout son travail est basé d'abord sur la traduction de La Place puis sur celle qui suivra de LeTourneur.

Vingt cinq ans après sa traduction, grâce à Ducis, Hamlet est enfin joué sur une scène française et récolte le succès.

Cependant, même s'il admire Shakespeare, Ducis ne veut pas le mettre a nu. C'est donc une version de Hamlet très conforme à l'esthétique classique de l'époque qu'il propose au public français En effet, avec Diderot qui essaye de renouveler le théâtre classique, la pièce se teinte d'une sensibilité larmoyante non présente dans les traductions antérieures. D'ailleurs, le monologue d'Hamlet est absent de l'adaptation de Ducis, sûrement car jugé inapproprié aux normes et au goût français Dans Othello, par exemple, Ducis, n'ayant aucun souci de fidélité à l'originale, réécrira même la fin de sa pièce pour qu'elle plaise au public de l'époque.

Dans le cas d'Hamlet, Ducis s'autorise des changements dans les personnages. Il en invente de nouveaux, comme Elvire, nouvelle confidente de Gertrude, change le rôle de certains, par exemple Polonius devient le simple confident de Claudius, Ophélie devient la fille de Claudius, et en fait disparaître d'autres, comme Fortinbras, Laertes, les fossoyeurs ou le spectre (que seul Hamlet voit), entre autres.

Ducis change aussi l'action : le meurtre du roi est commis par Claudius et Gertrude ensemble (a l'aide d'une potion et non pas du poison déversé dans l'oreille), et Hamlet hésitant à tuer le père de la femme qu'il aime se résout a rompre d'abord avec elle, plein de regret et de tendresse (Chez Shakespeare, le langage d'Hamlet n'a rien de tendre mais parait plutôt brutal). En effet, toutes les actions, dans le Hamlet de Ducis, sont claires, comme elles doivent être dans le théâtre classique.

Finalement, par tous les changements qu'il effectue, son Hamlet, malgré la ressemblance des noms des personnages, n'est en rien la même histoire que celle de Shakespeare. Il fait même apparaître Hamlet comme un héros " sensible " et fait de lui un René avant l'heure en transformant la folie du Hamlet original en mélancolie.

 

Je l'ai vu quelquefois dans sa mélancolie,

Fixer un œil mourant sur la jeune Ophélie ;

Ou tantôt vers le ciel, muet dans ses douleurs,

Lever de longs regards obscurcis par ses pleurs ;

J'y remarquais empreint sous leur sombre lumière

Des grandes passions le frappant caractère.

 

Paradoxalement, a cette époque, parmi les traducteurs, c'est celui qui admire le plus Shakespeare (jusqu'à en célébrer l'anniversaire chaque année) qui en fait la plus mauvaise adaptation, ou en tout cas, la moins fidèle. De plus en plus, au fil du temps, la pièce se mue en une parfaite tragédie classique respectant la règle des trois unités et celle de la bienséance.

La révision de son adaptation par Ducis en 1803 ne changera en rien ce respect du classique mais bouleversera encore une fois le sens du monologue.

En effet, la modification de l'histoire va transformer le monologue " to be or not to be ". Ducis introduit de nouveaux événements, par exemple : Hamlet reçoit une lettre provenant d'Angleterre de la part de Norceste pour lui annoncer l'assassinat du roi et avant même de voir le spectre de son père est suspicieux envers le nouveau couple royal. Norceste rendra compte du régicide devant ce même couple, et c'est la reine seule qui réagira, laissant Hamlet dans le doute et la peur. De par ces modifications, le monologue devient :

 

Je ne sais que résoudre…immobile et troublé…

C'est rester trop longtemps de mon doute accablé ;

C'est trop souffrir la vie et le poids qui me tue

Ah ! qu'offre donc la mort à mon âme abattue ?

 

Cette nouvelle traduction, ne sera donc pas plus proche de l'originale que toutes celles l'ayant précédé.

 Le cas LeTourneur

Quand arrive LeTourneur, c'est un tournant dans l'Histoire et dans l'histoire de la littérature qui s'annonce. En effet, il est le premier à proposer des traductions qui correspondent à ce que l'on pourrait attendre aujourd'hui d'une traduction. C'est-à-dire fidèles à l'œuvre originale. Avec leurs succès, commence celui de Shakespeare en France.

Cependant, les traductions de LeTourneur ne sont pas encore exemptes de défauts. Certaines explicitations facilitant le travail du lecteur sont le signe d'une faiblesse de traduction et donc d'un échec du traducteur. Aussi, LeTourneur n'est pas homme de théâtre et toute la dimension scénique est perdue : les didascalies sont donc peu nombreuses. En outre, bien que la traduction d'Hamlet de LeTourneur soit fidèle, certaines techniques ne sont pas reprises par peur de trop oser. Par exemple, les répétitions présentes chez Shakespeare ne le sont pas chez LeTourneur. Certains passages, jugés encore trop choquants, sont aussi transformés, ou traduit dans les notes, mais le moins possible. D'autres fautes de traduction semblent être que des fautes d'inadvertance ou encore des fautes dues à la non compréhension du texte original.

Admirateur de Shakespeare, LeTourneur, dans son Epitre au roi, ne lui reconnaît, au début, aucun défaut avant de lui concéder tout de même quelques imperfections qui ne desservent pas le génie de l'auteur anglais. Dans cette même épître, il s'auto-félicite du bon travail que sont ses traductions et s'adonne à une critique des autres traductions, notamment celle de Ducis qui a bouleversé les pièces pour les faire entrer dans des normes.

En effet, la traduction de LeTourneur rectifie toutes les erreurs de traductions de ses prédécesseurs de Voltaire à Ducis. Les personnages et les " choses " retrouvent ainsi leur vraie nature. Toutes les principales scènes sont traduites avec fidélité et pour la première fois en France, le rapport Hamlet/Ophélie n'est pas négligé.

En revanche, en ce qui concerne le monologue " to be or not to be ", son sens n'est pas préservé. En effet ce qui semblait parler du suicide chez Shakespeare, se résume ici à une seule question, a savoir : existe-t-on ou pas après la mort ? Dans cette traduction de LeTourneur c'est donc cette question qu'Hamlet se pose avant de risquer sa vie.

La version de LeTourneur n'est résolument pas parfaite, mais elle est jugée à l'époque comme la meilleure et représente un " juste milieu " entre traductions infidèles et originales. Pour Margaret Gilman, la traduction est adaptée aux besoins et au goût du public et se contente juste d'atténuer là où Shakespeare était allé trop fort.

Pour conclure sur cette période, on peut tout de même dire que la traduction de Le Tourneur ne met pas fin au sentiment que Shakespeare peut être parfois trop " barbare". En effet toutes les études de l'époque, de celle de l'Abbé Jean-Bernard Le Blanc à celle de Luigi Riccoboni tendent a montrer que Shakespeare a du génie, mais que son manque d'appartenance aux règles classiques fait de son théâtre, un théâtre inférieur au théâtre français, et de Hamlet une pièce inférieure a Sémiramis.

2. Les traductions nouvelles et l'évolution d'une société : le monologue de l'acte II, scène 2

Avec l'évolution d'une société évolue le personnage d'Hamlet et le traitement réservé a son auteur. Dès la traduction de LeTourneur, l'acceptation de Shakespeare par les français est plus grande et l'idée de " monstrueuse farce " s'efface petit à petit. Les critiques de Hamlet sont plus envers Ducis qu'envers l'auteur anglais. Cependant, Shakespeare n'étant plus au centre de inserts littéraire, son Hamlet et lui furent, pendant un temps, presque oubliés ou boudés quand l'hostilité politique envers les anglais se faisait ressentir. Mais bien que le barbarisme s'efface, certains hommes de lettres s'attèlent à le remettre en avant. Chateaubriand, par exemple, allant plus loin que Voltaire, s'étonne de ce que les français s'abaissent au niveau " barbare " de Shakespeare et de son travail. D'autres, plus modérés, conservent l'idée de l'existence de beautés, notamment Le monologue et l'apparition du spectre, au milieu d'obscénités.

Cependant, contrairement a lui, d'autres se prennent de passion pour l'auteur anglais. En effet, Stendhal devient " fou de Hamlet " et il apprendra l'anglais pour découvrir la version originale de la pièce. Il pensera même à une réécriture de l'œuvre, mais l'influence des traductions de LeTourneur et Ducis font de sa traduction, une traduction infidèle où même le monologue " to be or not to be " est remplacé. Il abandonnera son entreprise prétextant une maîtrise encore non parfaite de son style, ce qui ne lui permettrait pas de faire une bonne œuvre, prête a dépasser l'originale.

Plus tard, d'autres admirateurs romantiques, comme Mme de Stael ou Charles Nodier, feront de Hamlet le héros romantique parfait, oubliant tout le coté " monstrueux " qu'il avait pu avoir. Il deviendra, dès lors, l'objet de nombreuses réflexions philosophiques romantiques.

 Guizot

D'autres enfin, retraduisent intégralement la pièce de Shakespeare, à commencer par Guizot et sa " nouvelle " traduction révisée de celle de LeTourneur. Il réhabilite en effet, tous les passages omis ou relégués en note par LeTourneur mais conserve cependant quelques unes de ses erreurs et en ajoute de nouvelles. Il utilise aussi des termes concrets la où LeTourneur, comme on l'a vu plus haut, avait l'habitude être abstrait. Sa traduction est très littérale.

 Maintenant je suis seul. Oh ! quel misérable et grossier personnage je suis ! n'est-il pas monstrueux que ce comédien, par une pure fiction, par le rêve d'une passion, puisse contraindre son âme à se conformer à son imagination ; que tout son visage palisse par sa propre volonté ; que ses yeux soient en larmes, sa physionomie troublée, sa voix brisée, et toute sa contenance en harmonie avec son imagination ? et tout cela pour rien ! pour Hécube ! Et que lui est Hécube ? Qu'est il à Hécube, pour s'attendrir sur elle ? que pourrait-il donc faire, s'il avait un motif et un sujet d'émotion tel que je l'ai ? il inonderait donc le théâtre de ses larmes ; ses terribles discours déchireraient donc le tympan de tout le public ; il rendrait insensé l'homme coupable et ferait pâlir l'innocent ; il troublerait le plus inepte, et glacerait d'épouvante toutes les facultés de l'œil et de l'oreille… Moi, cependant, stupide et ignoble misérable, je suis la a parler comme un Nicodème, insensible dans ma propre cause, et ne puis rien dire, rien, pour un roi dont le domaine, dont la précieuse vie furent ravis par un damnable forfait. Suis-je donc un poltron ? qui ose me traiter de vilain ? qui porte la main sur ma face ? qui vient me tirer la moustache et me frapper au visage ? qui vient m'insulter à mon nez ? qui dit que j'en ai menti par la gorge et par le cœur ? qui peut me traiter ainsi ? Ah ! pourquoi le souffrirais-je ? cela ne peut être, a moins que je ne sois un oison plumé et que je n'aie point assez de fiel pour sentir l'amertume de l'injure ; autrement j'aurais déjà régalé des membres de ce misérable tous les vautours du pays…sanguinaire et débauché coquin ! sans remords, traître, adultère, dénaturé coquin ! suis-je donc un âne stupide ? n'est ce pas bien courageux à moi, à moi le fils d'un père chéri qu'on a assassiné, moi, sommé par le ciel et par l'enfer de le venger, d'être la comme une catin, a soulager mon coeur par des paroles… allons, exerçons ma cervelle !...cette pièce de théâtre est le moyen par ou je surprendrai la conscience du roi.

GUIZOT

 

Les deux traductions se ressemblent assez, mais Guizot apporte quelques précisions ou modifications. En effet, " ses terribles discours déchireraient donc le tympan de tout le public " semble plus approprié, même si encore très loin de l'originale, que la traduction de LeTourneur. On remarque aussi qu'il substitue " poltron " au " lâche " de LeTourneur ou encore " un drame est le piège " a " cette pièce de théâtre est le moyen ", ce qui semble être plus concret.

La traduction de Guizot est encore loin être parfaite mais elle contribue cependant a l'appréciation de Shakespeare et de Hamlet en France.

 Benjamin Laroche

La traduction en prose de Benjamin Laroche parait en 1840, c'est elle qui récolta le plus de succès à son époque. Laroche semble être inspiré des deux traductions antérieures de LeTourneur et de Guizot mais il est le premier à être aussi proche de l'œuvre originale. En effet, il rectifie toutes les abstractions de LeTourneur, et nuance la littéralité de celle de Guizot. En résumé, il se situe entre les deux, plus proche du texte que LeTourneur et moins que Guizot.

La traduction du monologue d'Hécube préserve l'essence des thermes originaux, sans pour autant être trop littérale. En revanche, le texte de Laroche peut parfois être trop interprété. Par exemple : " l'expression d'une douleur simulée " pour " a dream of passion " ou encore " quel misérable " pour " what a rogue and peasant slave "

 

Enfin me voilà seul. Quel misérable je suis ! N'est-ce pas une chose monstrueuse que ce comédien, dans une fiction, dans l'expression d'une douleur simulée, ait pu monter son âme au diapason de son rôle, et l'exalter au point de pâlir, d'avoir des larmes dans les yeux, le désespoir dans tous ses traits, la voix entrecoupée, et tout son être en harmonie avec sa situation feinte ? et tout cela pour rien ! pour Hécube ! qu'est Hécube pour lui, ou qu'est-il à Hécube, pour que son souvenir lui arrache des larmes ? que ferait-il donc s'il était à ma place, s'il avait autant de motifs de douleur que j'en ai ? il inonderait la scène de ses larmes ; on le verrait épouvanter l'oreille des spectateurs de ses accents terribles, frapper le coupable de vertige, effrayer l'innocent, plonger dans la stupeur les âmes simples, et porter à l'oreille et aux yeux un ébranlement général…

LAROCHE

 

Le rythme passionné de la traduction convient parfaitement a celui de Shakespeare. Laroche arrive à rendre parfaitement le ton et la " couleur " du Hamlet original.

 Alexandre Dumas et Paul Meurice

Le travail de Dumas et Meurice présenté pour la première fois en 1846 est une adaptation de la pièce de Shakespeare pour le théâtre La traduction est majoritairement faite par Paul Meurice seul. Dumas arrange le scénario au goût français et transforme pour cela le dénouement d'Hamlet. La pièce est dès lors aussi loin de Shakespeare que l'était la traduction de Ducis. Certaines scènes sont complètement arrangées, simplement absentes et certains passages sont totalement inventés.

 

Seul enfin ! pauvre fou, misérable et risible !

N'est ce pas monstrueux ? un acteur insensible

Peut, dans un rôle appris, rêve de passion,

Dresser son cœur d'avance à cette émotion !

Contraindre aux pleurs ses yeux, à la pâleur sa joue,

Frémir, briser sa voix ! puis il dira qu'il joue !

Et le tout, s'il vous plait, pour Hécube…pour rien !

Que peut lui faire Hécube, à ce comédien

Qui sanglote à ce nom ? Oh ! Dieu ! mais, à ma place,

S'il ressentait la haine ou l'horreur qui me glace,

Il inonderait donc la scène de ses pleurs ;

Il ferait tout trembler en criant ses douleurs ;

Il renverrait les bons, tristes dans leur clémence

Les ignorants rêveurs, les méchants en démence !

Et tous croiraient avoir, dans leur rêve oublieux,

La foudre à leur oreille et la mort à leurs yeux.

Mais moi, faible, hébété, je vais, âme asservie,

Œil fixe et bras pendants, dans mon rôle et ma vie,

Et je ne trouve pas un seul cri dans mon sein

Pour ce roi détrôné par un vil assassin !...

Ah ! c'est qu'aussi parfois m'arrête un doute sombre.

Si ce spectre chéri, ce fantôme, cette ombre,

Si c'était le démon qui me voulu gagner ?

Un cœur mélancolique est facile à damner !

Et Satan est bien fin ! -Mais, voyons, on raconte

Qu'au théâtre un coupable, en revoyant sa honte

Sous un aspect vivant et dans un jeu parfait,

Lui-même a quelquefois, proclamé son forfait !

Eh bien, en tribunal érigeons le spectacle.

Si dieu me veut convaincre, il me doit un miracle !

DUMAS ET MEURICE

 

Comme on peut le voir, le monologue a été abrégé et l'ordre des idées n'est plus le même vers la fin du passage. Cela montre bien les difficultés à traduire en vers et en rimes.

Malgré la non fidélité de la pièce et grâce aux efforts de Dumas pour faire une pièce qui plaise aux français, le Hamlet du binôme remportera beaucoup de succès. Même Théophile Gautier appréciera grandement la représentation, regrettant cependant quelques oublis.

Plus tard, l'adaptation sera modifiée, devenant beaucoup plus fidèle à l'originale et sera jouée en 1867, avec la première femme Hamlet française.

 Francois-Victor Hugo

La traduction de Francois-Victor Hugo, est, depuis celle de LeTourneur, la première traduction " nouvelle ". Quand elle parait, dans Les deux Hamlet, elle semble être la plus poétique et la plus imagée. Hugo respecte énormément le travail de Shakespeare et il ne prétend pas ici reproduire le même rythme que l'auteur anglais. Mais, il essaye cependant de respecter la syntaxe anglaise chaque fois que possible. Il ne fait aucune abstraction et évite les paraphrases. Sa traduction est complète et les quelques fautes commises ne semble être que de l'inadvertance. De plus, Francois-Victor Hugon'a pas peur des mots osés. Par exemple, " an envious sliver ", qui devient " une branche fatale " chez LeTourneur, " une branche maudite " chez Guizot, " la branche sur laquelle elle posait le pied " chez Laroche, retrouve son sens dans la traduction de Hugo : " une branche envieuse ".

Sa traduction du monologue d'Hécube est concise, rapide, et fait preuve d'une littéralité stricte, dont découle l'exactitude de chaque mot. Aucune phrase n'est empruntée à la version de LeTourneur, elle est totalement nouvelle.

 

Maintenant je suis seul. Oh ! quel drôle et quel rustre inerte je suis. N'est-ce pas chose monstrueuse que ce comédien que voici, dans une pure fiction, dans une passion rêvée, puisse, selon sa propre idée, contraindre son âme a ce point que, par le travail de son âme, son visage entier blêmisse ? Et des pleurs dans ses yeux ! l'égarement dans sa physionomie ! une voix brisée ! et toute son action appropriant les formes à l'idée ! Et tout cela pour rien ! pour Hécube ! Qu'est ce que lui est Hécube, ou qu'est ce qu'il est à Hécube, lui, pour qu'il pleure pour elle ? Que ferait-il donc s'il avait, pour se passionner, le motif et le mot d'ordre que j'ai ? Il inonderait de larmes le théâtre, il déchirerait l'oreille de la multitude par de formidables paroles, il rendrait fou le coupable et épouvanterait l'innocent ; il confondrait l'ignorant et frapperait de stupeur, sur ma parole ! les facultés même d'entendre et de voir…

HUGO

 

Cette traduction est sans doute la plus poétique de cette période malgré quelques familiarités, telle que " sur ma parole " pour traduire " indeed ", dues, selon Hugo, au caractère de Hamlet. Elle est même considérée comme représentant parfaitement celle de Shakespeare en français. Elle est telle qu'il aurait pu l'écrire s'il avait parlé français. Tous les critiques français et anglais reconnaissent ses qualités artistiques mais elle n'aura cependant pas le même succès que la nouvelle traduction, plus prosaïque mais toujours aussi plate de Guizot (1860).

 Emile Montégut

 Plus tard, d'autres tenteront de traduire Hamlet, mais toujours plus platement que Francois-Victor Hugo. C'est le cas d'Emile Montégut, par exemple qui, en 1870, fait une traduction plus sobre, mais peut-être plus exacte de la pièce de Shakespeare. Il a le mérite, lui aussi de faire une nouvelle traduction, empruntant peu a ses prédécesseurs, malgré certains passages qui trahissent l'influence de Francois-Victor Hugo.

Sa traduction du monologue d'Hécube est donc complète et littérale :

 

Maintenant je suis seul. Oh, quel coquin et quel grossier manant je suis ! N'est-il pas monstrueux que ce comédien qui était là, dans une pure fiction, dans un pur rêve de passion, ait pu forcer son âme à s'accorder avec son imagination, à ce point que sous la pression de son illusion, son visage tout entier a pali, que des larmes ont coulé de ses yeux, que l'égarement s'est peint sur sa physionomie, que les sanglots ont entrecoupé sa voix, que toutes les expressions de son être ont pris des formes en harmonie avec son personnage fictif ? et tout cela pour rien ? pour Hécube ? que lui fait Hécube, et qu'est-il à Hécube pour pleurer ainsi sur elle ?...

MONTEGUT

 

C'est une traduction plus fidèle et plus réussie que celle de Guizot (de 1860) même si elle est moins concise, moins colorée que celle de Hugo.

 Enfin, les traductions de Châtelain et de Ménard n'atteindront jamais la scène de part leur médiocrité ou peut être aussi par manque d'intérêts pour Hamlet. La traduction du monologue d'Hécube de Ménard, pale copie de celle de Meurice et Dumas, n'est que transpositions et incompréhension du texte original.

 3. Les traductions d'aujourd'hui ou l'apparente uniformité d'Hamlet : le début du monologue " to be or not to be "

" Il advient presque toujours qu'un vocable, lors même qu'il désigne un objet précis et trouve un équivalent précis dans une autre langue, s'entoure d'un halo d'évocations et de réminiscences, sortes d'harmoniques qui ne sauraient être les mêmes dans l'autre langue et que la traduction ne peut espérer conserver. Qui peut croire que le soleil et la lune changent impunément de sexe en quittant le français pour l'allemand ? "

 C'est principalement ces difficultés de restitutions exactes qui différencient aujourd'hui les traductions. Nous allons donc voir ces différences avec l'étude du début du monologue " to be or not to be "

André Gide, 1946

Etre ou ne pas être : telle est la question.

Y'a-t-il pour l'âme plus de noblesse à endurer les coups et les revers d'une injurieuse fortune, ou à s'armer contre elle pour mettre fin à une marée de douleur ?

 Marcel Pagnol, 1950

Etre, ou n'être pas, c'est la question ; est-il plus noble de subir passivement les coups et les traits de l'outrageuse fortune, ou de prendre les armes contre un océan d'ennui, pour en triompher par la lutte ?

Yves Bonnefoy 1957

Etre ou n'être pas. C'est la question.

Est-il plus noble pour une âme de souffrir

Les flèches et les coups d'une indigne fortune

Ou de prendre les armes contre une mer de troubles

Et de leur faire front et d'y mettre fin ?

 M. Castelain 1969

" Etre ou n'être pas, voila la question. Savoir s'il est plus noble de souffrir en son âme les flèches et les coups de la Fortune hostile, ou bien de s'insurger contre un océan d'ennuis et d'y mettre fin par la révolte ? "

François Maguin

Etre ou ne pas être, c'est toute la question.

Est-il plus noble pour l'esprit d'endurer

Les frondes et les flèches de l'injuste fortune

Ou de prendre les armes contre les flots adverses

Et de leur faire face pour en finir.

 Jean-Michel Déprats, 2002

Etre, ou ne pas être, telle est la question.

Est-il plus noble pour l'esprit de souffrir

Les coups et les flèches d'une injurieuse fortune,

Ou de prendre les armes contre une mer de tourments,

Et, en les affrontant, y mettre fin ?

Avec la comparaison de ces traductions modernes on se rend compte que le sens général est aujourd'hui défini. En effet, aucune différence de sens ne transparaît dans le début du monologue de Gide à Déprats. Cependant quelques petites nuances sont perceptibles dès la première réplique. Il existe, comme on peut le voir, deux écoles, celle du " n'être pas " et celle du " ne pas être ". Ensuite, avec la suite de la phrase, les nuances sont toujours présentes. Yves Bonnefoy avec " c'est la question " semble être le plus littéral, les autres ajoutant " telle ", ou " toute " dans un soucis sans doute plus poétique, plus rythmique que fidèle. Parmi les autres nuances, se trouve la fin du passage. Complexe a traduire, de part une syntaxe difficile a respecter, c'est a mon avis Gide qui s'en sort le mieux, employant " s'armer " au lieu du " prendre les armes " général et peut être plus fidèle, et ne cédant pas a la coordination abusée de Bonnefoy. Ici, pour moi, la traduction Gidienne est la plus française mais aussi sans doute la moins fidèle. Enfin, une seule différence de sens peut être relevée dans le traitement de l'adjectif " outrageous " de Shakespeare qui devient tour a tour, injurieuse, injuste, outrageuse puis indigne et enfin hostile. On peut noter que Jean-Michel Déprats et Gide traduisent de la même façon et que Pagnol se réduit au calque. La forme de la traduction est aussi différente chez les traducteurs, certains choisissant la prose, les autres les vers non rimés sûrement plus fidèles.

Finalement, chaque traduction est différente et possède sa propre couleur. Le souci de grâce et d'aisance de Gide fait de son Hamlet une " sorte de prince de Condé abâtardi ", la traduction de Bonnefoy est celle du langage courant d'aujourd'hui. Comme le dirait Manuel de Dieguez : " Gide francise à l'extrême, sans s'en rendre compte. Quant à Bonnefoy, il actualise. " De plus, Gide, de par ses traductions, fait la promotion de son style d'écriture plus que des œuvres qu'il traduit. Enfin, certaines traductions paraissent plus adaptées à la scène, ce qui est le cas de celle de Pagnol, contrairement a celle de Bonnefoy qui n'a pas le souci de théâtralité.

 

Pour conclure cette deuxième sous partie, on peut dire que Hamlet a intéressé énormément de gens. N'allant pas jusqu'à proposer leur propre traduction, certains hommes de lettres se sont toutefois inspiré du héros de Shakespeare. Par exemple certains personnages de Musset ou Vigny possèdent les attitudes propres à Hamlet. D'autres encore parleront du personnage et de son auteur dans divers ouvrages : poèmes, tableaux,… On peut citer comme exemple Baudelaire, Verlaine, Mallarmé, Hugo, Delacroix, Berlioz, Gautier, Valéry, parmi tant d'autres. Les mises en scènes modernes participent aussi à l'évolution du personnage de Hamlet en France. Depuis la parution d'un essai de Jan Kott, qui propose une lecture " absurde " et " désespérée " de l'histoire, beaucoup de metteurs en scène se prennent au jeu d'Hamlet.

 

III. Deux traductions : François Victor Hugo et Yves Bonnefoy

Acte I, scène 5 : réplique d'Hamlet

Bonnefoy

O vous, toutes armées du Ciel ! O terre ! Et quoi encore ?

Faut-il y joindre l'enfer ? Infamie ! Calme-toi, calme-toi, mon coeur,

Et vous, mes nerfs, d'un coup ne vieillissez pas,

Mais tendez-vous pour me soutenir…Que je ne t'oublie pas ?

Non, pauvre spectre, non, tant que la mémoire

Habitera ce globe détraqué.

Que je ne t'oublie pas ? oh, des tables de ma mémoire

Je chasserai tous les futiles souvenirs,

Tous les dires des livres, toute impression, toute image

Qu'y ont notés la jeunesse ou l'étude,

Et seul vivra ton commandement,

Séparé des matières plus frivoles,

Dans le livre de mon cerveau ; oui, par le Ciel !

O femme pernicieuse, pernicieuse !

O traître, traître, o maudit traître souriant !

Mon carnet ! Il est bon que j'y inscrive

Qu'on peut sourire et toujours sourire et être un traître,

C'est, j'en suis sur, au moins le cas au Danemark.

Voici, mon oncle, vous êtes la… Et maintenant, ma devise.

Elle sera : " Adieu, adieu, ne m'oublie pas "…

Je l'ai juré.

 

Hugo

- O vous toutes, légions du ciel ! O terre ! Quoi encore ? - Y accouplerais-je l'enfer ?...Infamie…Contiens-toi, contiens toi, mon coeur ! - Et vous, mes nerfs ne devenez pas brusquement séniles - et tenez moi raide !...Me souvenir de toi ! - Oui, pauvre ombre, tant que ma mémoire aura son siège - dans ce globe égaré. Me souvenir de toi ? - Oui, je veux du registre de ma mémoire - effacer tout les souvenirs vulgaires et frivoles, - tous les dictons des livres, toutes les formes, toutes les impressions - qui ont copié la jeunesse et l'observation ; - et ton ordre vivant remplira seul - les feuillets du livre de mon cerveau, - fermé a ces vils sujets. Oui, par le ciel ! O la plus perfide des femmes ! - o scélérat ! scélérat ! scélérat souriant et damné ! - Mes tablettes ! mes tablettes ! Il importe d'y noter - qu'un homme peut sourire, sourire, et n'être qu'un scélérat. - Du moins, j'en suis sur, cela se peut au Danemark.

 

Il écrit :

- Ainsi, mon oncle, vous êtes là. Maintenant le mot d'ordre. - C'est : Adieu ! adieu ! Souviens-toi de moi ! - Je l'ai juré.

 

Comparaison linéaire

La première ligne est semblable dans les deux traductions ; il ne faut pas oublier que certaines différences ne sont dues qu'a l'évolution du langage entre le XIXe et le XXe siècle. Dès la seconde ligne, cependant, on remarque pourtant une petite différence entre le " joindre " de Bonnefoy et le " accouplerai " de Hugo. Ici le choix de Hugo semble être plus littéral mais ne fait pas de la version de Bonnefoy une mauvaise traduction. Plus loin, c'est le " hold " de Shakespeare qui sépare les deux hommes, mais la traduction des dictionnaires admet les deux versions. Plus loin encore, l'adresse de Hamlet a ses nerfs n'est pas traduite de la même façon : Bonnefoy substituant un verbe a l'adjectif " stiffly " alors que Hugo préfère le garder. La transformation, plus loin, du point d'interrogation en point d'interjection par Hugo, ne modifie bizarrement pas la notion de questionnement et mélange surprise et interrogation. Ensuite, une autre différence réside en la qualification du " globe " : chez Hugo, il est littéralement défini comme étant " égaré ", mais Yves Bonnefoy introduit une interprétation plus concrète, utilisant le qualificatif " détraqué ". Encore une fois, Hugo semble ici être plus proche du texte de l'auteur anglais. Ailleurs dans le texte, Hugo préfère conserver la double interprétation du " trivial fond " de Shakespeare en le traduisant par deux adjectifs " vulgaires et frivoles ", alors que Bonnefoy le réduit à un seul " futiles ". De plus, il conserve, contrairement à Bonnefoy, le triptyque " livres ", " formes ", " impressions " de Shakespeare et reste donc plus proche du texte. Plus loin, Bonnefoy s'éloigne encore du texte original antéposant le qualificatif " séparé des matières… " à l'apparition du qualifié : le livre. Hugo, lui, ne le fait pas. Quand il s'agit ensuite de parler de la femme, les qualificatifs sont différents mais pas opposés, cependant par introduction peut-être aux répétitions futures, Yves Bonnefoy choisit ici de doubler l'adjectif " pernicieuse ", calque de celui de Shakespeare. Par les mots choisis il se rapproche de l'auteur original mais par la syntaxe s'en éloigne encore. Plus tard, en revanche, c'est Hugo qui s'éloigne du texte plus que Bonnefoy. En effet, il double le mot " tablettes " alors que Shakespeare ne le fait pas. Dans la dernière phrase, avant que Hamlet n'écrive dans son carnet, Bonnefoy choisit de modifier l'ordre des mots sans altérer le sens. Cependant, avec la même compréhension de sa traduction, Hugo, lui, suit l'ordre du texte Shakespearien. Pour finir avec la dernière réplique, on remarque que Bonnefoy choisit de ne pas respecter la présence de didascalies, il ne les traduit pas du tout ; il introduit aussi les points de suspension et préfère traduire, comme au début du texte, " remember me " par " ne m'oublie pas ".

L'étude de ces deux traductions montre un plus grand respect du texte de Hugo, ce qui lui a d'ailleurs été plusieurs fois reproché, notamment ses précisions excessives. La traduction d'Yves Bonnefoy, elle, est tout de même plus fidèle au niveau de l'alternance vers/prose. Cependant, la poésie qui se dégage des deux travaux prouve leur grande qualité. Si aujourd'hui, la traduction de François-Victor est encore dans toutes les librairies, c'est que le résultat de douze ans de travail sur Shakespeare est excellent, comme l'avait prédit son père. Ces deux traductions sont (comme le disait Manuel de Dieguez de celle de Bonnefoy) " françaises partout où elles ne sont pas intemporelles et universelles par la poésie. "

 

Pour conclure, on peut dire que le métier de traducteur est un métier d'avenir. Chaque traduction a besoin d'être retravaillée pour l'adapter à la langue d'aujourd'hui. Ainsi, Yves Bonnefoy affirmait que " la traduction de Hamlet ne sera jamais définitivement établie " alors que l'on compte déjà plusieurs centaines de versions.

Des romanciers aux poètes tous se sont intéressés a Hamlet ; leurs traductions reflètent plus un parti pris, une époque, une opinion qu'un absolu vers lequel tendre et c'est pour cela, comme le disait Michel Déprats, qu'il existe " de belles fidèles et de belles infidèles " et qu'elles rendent compte, tour à tour, des ambiguïtés d'Hamlet, le rendant fascinant.

Pour finir, suivons le conseil de Gide qui est de lire plusieurs versions d'Hamlet car " si Shakespeare est quelque peu trahi, inévitablement, par chacune d'elles, du moins ne le sera-t-il pas toujours de la même façon. Chacune de ces versions aura ses vertus propres ; c'est de leur faisceau seulement que pourra se recomposer le prisme du génie diapré de Shakespeare

[Quelque chose a dire ?]